samedi 23 avril 2016



Dove Allouche, Mea culpa d’un sceptique, Fondation d’Entreprise Ricard, jusqu’au 7 mai 2016
Les renversements miraculeux d’un sceptique
« Cette extraordinaire caverne ne peut cesser de renverser qui la découvre : elle ne cessera jamais de répondre à cette attente de miracles, qui est dans l’art, ou dans la passion, l’aspiration la plus profonde la vie. » Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l’art




Quand il parle de son travail actuel Dove Allouche tient un échantillon de stalagmite de la grotte Chauvet entre les mains. Une pierre plus que précieuse datant de – 11 7000 ans. En elle sont stratifiés des concrétions d’humanité, des bulles d’air, de cendre, de feu, de temps. Ciselant cette pierre en lames à peine plus épaisses que des feuilles de papier, l’artiste touche ce qu’il y a de plus humain dans cet ultra-mince, dans cette infime épaisseur qui rend le matériau si fragile qu’à n’importe quel instant il pourrait se déliter et rompre. Et c’est émouvant car dans ce « bout » de pierre il y a quelque chose de si dur et si fragile à la fois dont nous savons au travers de l’expérience de la grotte de Lascaux combien la main de l’homme a pu la détruire et l’oxyder.

L’immense sophistication des techniques employées dans les différentes séries d’images ne se présente pas comme une finalité mais semble participer d’une quête qui, si elle n’est pas à proprement parler existentielle, porte, en tout cas, sur les conditions d’existence de l’Homme. Cette démarche n’est pas sans évoquer celle de Gustave Le Gray dans les années 1856-57 qui photographiait sans cesse la mer, employait et développait pour cela nombre d’innovations techniques (virage à l’or, collodion humide sur plaque de verre, montages photographiques etc.). Les deux hommes, par delà le temps, ont en commun l’extrême raffinement des images et de la démarche. Les images de Gustave Le Gray laissent apparaître les infinis mouvements de la mer et du ciel qui se perdent dans les horizons qu’il dessine. Des horizons intellectuels et sensibles, des horizons chaque fois renouvelés auxquels répondent les grottes, parois et lames de stalagmites, les intériorités caverneuses de Dove Allouche. Tous deux rendent visible ce qui était de l’ordre de l’invisible, de l’inconnu, du refoulé, de l’indicible.

Dans son rapport à la nature, Dove Allouche accepte de se laisser surprendre par cette dernière. Malgré ou grâce à tous les dispositifs de fabrication, il instaure une proximité qui donne à voir le stalagmite. Dans les immenses agrandissements qui constituent Pétrographie il y a quelque chose qui frôle l’impudeur car il décèle l’intimité de la roche, la sort de son silence délicat. Les fines lamelles de pierre qu’il insole deviennent des voiles qui révèlent un corps au fur et à mesure que l’on les place dans la lumière. Des gestes fins qui posent la question de l’échelle humaine comme celle de l’échelle du temps.

Dans un tête à tête avec l’histoire de l’Homme, Dove Allouche prend à bras le corps les formats. Il les renverse. Du plan horizontal, celui de l’effectuation, il passe au plan verticale, celui de la présentation, accentuant ainsi le sens de lecture de gauche à droite, ce qui n’est pas sans évoquer le passage entre préhistoire et histoire dans l’écriture. Par ce renversement il noue un dialogue entre horizontalité et verticalité, entre image et écriture, lecture et perception, syncrétisme et linéarité. Dans ce renversement le corps de l’artiste s’inscrit aussi, sa taille, son envergure, sa verticalité d’homme debout. Debout, en effet, et qui se pense en Homme, pétri de son humanité, de son histoire et en dialogue avec celle-ci.

Cette question du corps est redéployée au travers des miroitements de Sunflower, série qui semble relever d’une traversée du miroir, comme des traversées successives des différents stades du miroir qu’il opère dans le noir. C’est dans cette part aveugle du travail où seul le geste opère que l’œuvre se réfléchit. Les coulures de l’argent répondent à l’amplitude de la courbure du geste qui se déplace en onde et s’amplifie de format en format. Dans ces matières métalliques dissoutes et qui s’écoulent, le corps du spectateur ne se reflète que de façon fragmentaire. Si la série Sunflower fait lumière elle fait aussi image bien que la dimension spéculaire agisse sans pour autant être réaliste. Le corps de l’artiste émane dans la surface suivant la propagation des ondulations lumineuses dans les nappes des fluides.

Lumière, surface et reflet sont à l’œuvre dans l’ensemble des œuvres. Le verre qui protège les dessins de la série L’enfance de l’art est un verre soufflé. S’il tient à distance et protège, il joue de sa transparence et des miroitements de la lumière. Le verre se déforme suivant le souffle du maître verrier créant de légers reliefs qui génèrent un désir de toucher. Une évocation des bas-reliefs et ronde-bosse des parois de Chauvet ? Cette surface, qui si elle est le produit du souffle sur du verre en fusion, n’est pas sans évoquer de l’humidité. Le verre traduit l’atmosphère humide de la grotte, ses luisances et brillances. Il y a une double surface qui créer une profondeur. Aux dessins qui reproduisent à l’hématite les lignes des lames de stalagmite, cette surface apporte une forme de relief, un espace supplémentaire. Ces reflets contribuent à ce dialogue par delà les millénaires en inscrivant le corps du spectateur dans le sol argileux recouvert du pigment rouge, il l’en enduit et l’y incorpore.

 Dove Allouche présente des surfaces frontales, formes de réinvestissement de la paroi, hommage à l’art pariétal, où le corps n’est plus figuré mais imprimé par l’ombre, le reflet du spectateur, ou encore par le geste de l’artiste. Ici l’objet semble faire image par lui-même. Les comportements de la matière font image. Lignes, strates, stries inventent une cartographie de ce microcosme développé dans une échelle monumentale. Si ces images semblent abstraites, en réalité elles présentent tout autant qu’elles représentent ce qu’elles figurent. « Car lorsqu’une illusion se dissipe, lorsqu’une apparence éclate soudain, c’est toujours au profit d’une nouvelle apparence qui reprend à son compte la fonction ontologique de la première. » Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible.