samedi 28 novembre 2009

Anselm Kieffer, Monumenta.

Par Laurence Gossart

7 Petites maisons…
Sept petites maisons habitées d’histoires, de mémoires, de poésie, de matière… Ici la matière incarne la forme, la pensée… Sept immenses maisons qui se présentent comme des blocs de béton recouvert de zinc… Des parallélépipèdes rectangles qui jalonnent l’espace, la nef, le temple.
Chaque maison est dotée d’une ou plusieurs ouvertures, de fentes qui nous laissent pénétrer, nous, spectateurs, participateurs, mais laissent aussi circuler l’air et la lumière.Monumentalité des dimensions, certes. Monumentalité du propos surtout. Derrière ces parois épaisses, toutes pareilles, uniformes, se déploie chaque fois un nouvel univers. Différent dans les formes aussi : dessin, peinture, sculpture, installation… Chaque temple est hanté de mémoire et de poésie. Une poésie en acte. La mémoire plastique et les formes de la pensée s’actualisent chaque fois.
Blocs fendus d’entailles ou percés d’entrées, blocs d’apparence impénétrable, des murs contre lesquels l’être bute. Le silence s’impose – une respiration coupée, une circulation de bloc en bloc. Ces blocs contraignent les corps, puis, à l’instar d’une aspiration, les corps des participateurs disparaissent, comme engloutis… A l’intérieur le propos plastique s’impose, la lumière s’assourdit, le bruit aussi. Des murs de lamentations, de silence, mais de vie aussi. Des pages d’herbier défaits qui seraient comme la trace d’une quête alchimique de la transformation au contact des matériaux et éléments naturels.
Ces maisons sont habitées par des petits cœurs sensibles… des voûtes célestes aussi… des espaces infinis suggérés dans des espaces délimités qui laissent au dehors les métaux… et permettent ainsi à la pensée de se déployer. Des caissons de verre et de zinc encastrés les uns dans les autres contiennent des éléments : argile, fougère, or, palmier, tournesol… éléments au degré de finition plus ou moins abouti. Chacun semble se présenter comme un indice, un élément, une clé. Peut-être une ouverture ? En effet. La mémoire est convoquée : l’holocauste, l’expérience des camps de concentration, de la mort et de la destruction. Une mémoire collective aussi, plus large, plus universelle encore… puis il y a l’élégance de cette mémoire, le raffinement des formes imprimées toutes ensemble par l’artiste et les intempéries. Une grande subtilité des réactions colorées s’en suit.Quelqu’en soit la justification, la tension historique traverse les formes plastiques, corps organiques, vivants.
« Les œuvres d’art authentiques cachent en elles comme leur secret a priori. Elles restent en même temps sous l’effet de l’Aufklärung car elles aimeraient rendre commensurable aux hommes ce frisson remémoré, incommensurable dans le monde primitif magique ».Théodor Wolf Adorno, Théorie Esthétique, p112.
Et l’infini se retrouve en effet à l’intérieur de ces temples. Voyage méditatif de l’ombre à la lumière, de la matière au solaire. Puis sous ses éclairages différents, tissant les expériences, nos corps passent de maison en maison, tournent autour, cherchent une entrée, contournent les ponctuations, les pénètrent, s’arrêtent. Puis se remettent en mouvement… un autre mouvement cette fois-ci, spirituel. Le corps se décharge de sa matière charnelle, fait le vide et se rend disponible pour être le médiateur de l’expérience. Métaphore de l’élaboration de l’homme, empêtré dans la glaise, le cœur arraché, suspendu et sans point de fuite. Les espaces se percent, les murs se trouent et s’ouvrent sur le ciel. Le vide ? Le ciel... Progressivement l’espace se déplie. Nous assistons au déploiement horizontal, vertical, transversal, en mouvement de ces espaces. La lumière creuse les sillons d’un nouveau paysage dévoilant ainsi de plus subtils passages…

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