dimanche 14 février 2010

Les échos de Sicilia

Par Laurence Gossart

jusqu’au 5 mars à la Galerie Chantal Crousel

Sicilia marque un tournant fort dans sa pratique, il ouvre de nouvelles portes. Portes de l’Enfer ou portes du Paradis, des portes de bronze et de marbre, des portes en porte à faux contre les murs de la galerie Crousel, des portes inébranlables que seul l’esprit peut ouvrir. L’installation est composée de quinze éléments qui, bien que plastiquement hétérogènes, concentrent un propos existentiel fort. Entre son propre enfer et les portes d’un paradis rêvé, des constellations de questions se gravent dans le chemin que l’artiste suggère aux spectateurs.
L’installation se compose de quatre temps qui se distinguent par des matériaux différents. Eco est un ensemble de six plaques de bronze de deux mètres de hauteur sur un mètre de largeur. Les corps reflétés ondulent comme des spectres au grès des formes inscrites dans le matériau. La surface est telle celle d’un miroir déformant, accidentée d’écriture, de mots, de phrases…miroirs de notre conscience, ces phrases apparaissent suivant l’orientation lumineuse et les déambulations du spectateur. « Je sais maintenant ce qu’il y a eu en dehors de toi » ; « Tu as vu ce que tu as fait » ; « Comment te croire »… Mordues à l’acide directement dans le bronze, elles semblent pouvoir disparaître et réapparaître, s’effacer et rester gravées. Elles marquent l’ambigüité de la visibilité, apparaissent par fragment, s’inscrivent à la lisière de l’illisibilité et se confondent avec les aspérités que le matériau conserve de sa fonte.
En face, des portes de marbre qui fixent le ciel à mois de l’année différents. Cecilia. Le marbre taillé et poli à la main révèle de petites sphères comme autant de petites étoiles qui composent la constellation. La pensée néo-platonicienne de Sicilia miroite la voie lactée dans cette pierre blanche pailletée de gouttelettes figées dans l’instant. Comme une de ces photographies montrant l’impact d’une goutte de lait…quelque chose de pétrifié.
Nous, spectateurs, sommes devenus scrutateurs. Nous sondons chaque temps de l’œuvre, chaque aspérité, chaque accident, tout en nous laissant aller à la caresse sensuelle que dispensent le bronze et le marbre polis. La noblesse des matériaux traditionnels de la sculpture impose un propos qui pourrait s’évanouir dans l’instant. Entre hauts et bas reliefs, ces portes ne sont pas sans évoquer les plaques mortuaires que nous pouvons trouver dans les basiliques ou cathédrales, à même le sol. Aussi, l’installation conduit à s’interroger sur ce qu’elle pourrait faire mourir en nous…le Narcisse. Echo, dont la petite voix renaît tel des piaillements de volatile, donne son nom à l’ensemble de l’installation. S’agit-il de faire germer en nous l’oiseau délicat, fragile dont il ne reste rien de palpable ? Pris dans un dispositif où les portes se font face dans l’espace imposant du lieu, le spectateur erre entre sa propre image déformée et traversée de sens et l’image d’un ciel de marbre. Il se trouve enserré dans un réseau bouclé à droite comme à gauche par les deux grandes toiles de deux mètres sur deux mètres qui, dans le silence, inscrivent dans une forme octogonale la partition de sonogrammes de chants d’oiseaux. « Le chant d’oiseau, c’est l’instant, seulement l’instant – pas le passé, pas le futur. Cet instant est une plénitude.» José Maria Sicilia. Là encore l’instant est enveloppé par la main de l’artiste et posé sur les perchoirs que sont les lignes des figures géométriques symboliques.
Mais cette pièce possède une vraie porte. Elle mène à un second espace où se trouvent des tapis de fleurs et de peaux, matières sensuelles…mais là encore il s’agit images, gravures qui oscillent entre la somptuosité luxueuse et douce, et la rougeur sanguine des motifs floraux de La Chambre du Fils. Toutes ces portes nous conduisent vers une dernière qui apparait dans un rayon lumineux « Soms un pozo que mira el cielo »…
Sicilia offre ici une Vanité grandeur nature au sein de laquelle les spectateurs sont conduits à repenser leur rapport au monde. Au travers de ces multiples métamorphoses et il invite chacun à construire son propre Paradis, après avoir bien vu son Enfer.

Laurence Gossart

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