Par Laurence Gossart
Pourquoi je pense à Guernica de Pablo Picasso en regardant ce court métrage de Sean Penn ? Pour sa valeur universelle, pour sa qualité de métaphore qui touche à la fois à l’évènement singulier, mais à quelque chose de bien plus vaste : la douleur, l’absence et la mort de l’être cher …l’absence et l’impossibilité d’oublier…
L’enfermement dans un univers où seul l’espace mental de l’homme concerné existe n’est pas sans nous suggérer le mythe de la caverne de Platon. Un enfermement, un repli sur soi au sein duquel le corps et l’âme de l’absente sont encore palpables. L’espace mental de l’homme endeuillé devient l’espace réel laissé en l’état comme juste avant l’évènement…Réalité et fictions intérieures se fondent dans ce petit appartement aux lumières ténues virant sur le sépia.
Touchée, émue par la juxtaposition dans une première partie de gestes simples du quotidien filmés en plans serrés assemblés, posées les uns au côté des autres. Rythmé par un réveil, le temps s’écoule, s’écoute, parfois même s’égoutte. Ce même temps s’étire à certains moments pour traduire le drame…la dramaturgie d’instants du quotidien où chaque geste jalonne et ritualise le jour…et maintient en vie. Faire comme si rien ne s’était produit, et pourtant, progressivement la caméra ouvre son champ aux signes de l’absence, à cet univers resté en l’état, aux concrétions d’instants pétrifiés.
Douleur muette. Le vivant calciné est ici traduit par le rosier. Celui-ci est employé comme métaphore de la femme disparue, de ces couleurs et lumières, de sa fragilité surtout. Mais plus que tout, il devient support des projections, du dialogue intérieur traduit en souvenirs, regrets, mais aussi en désir de celui des deux qui est resté. Le rosier est-il un leurre ou un « symbolon» ? Est-il une force de substitution ou bien a-t-il fonction de remplacement de l’être cher ?
La lumière pénètre enfin dans cet antre, cette caverne en effet…le rosier fleurit, offre sa multitude de boutons plus ou moins ouverts et épanouis. Ils sont colorés. Colorés de bonheur, de printemps, comme si Flore était venue irradier la chambre ce matin-là, éclairant chacune des roses au passage de ses multiples voiles. Mais si cette abondance de couleurs annonce les prémices d’une renaissance de la plante, il n’en est pas – ici - de même pour l’être qu’il représente pour cet homme seul. Je pensais à Guernica, car il témoigne un drame tout aussi fort. Mais c’est l’absence de couleur qui m’intéresse ici. On avait empêché Picasso de mettre de la couleur, comme si la perception de l’intensité dramatique se mesurait à sa plus ou moins grande intensité colorée… Je laisse en suspens. Et j’ai envie de faire une autre hypothèse que celle de la lumière trop vive, difficile à supporter, annonciatrice d’une vérité révélée. Une hypothèse qui tendrait plutôt vers la mise au jour progressive de la folie due au deuil impossible.
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