Par Laurence Gossart
Depuis le mois de février les élèves de 3ème accueillent dans leur classe l'artiste plasticien Julien Berthier. En résidence à l'internat jusqu'à la fin de l'année scolaire 2011, Julien Berthier intervient auprès des élèves en les guidant dans le champ de l'art contemporain. Ensemble ils ont choisi une thématique de travail en lien avec les préoccupations artistiques de Julien Berthier: « Espace public et Monument ».
L'espace public est un des terrains de prédilection de Julien Berthier. Il en observe les usages, fonctionnements et dysfonctionnements. Au regard de la richesse potentielle des différents lieux qu'il arpente, il multiplie les propositions artistiques. Les œuvres de Julien Berthier semblent stigmatiser l'absurdité, la complexité mais aussi la beauté des espaces publics que nous fréquentons, en d'autres termes, dont nous avons l'usage. Ainsi ce sont nos propres dysfonctionnements qui transparaissent dans les œuvres : sans jugement, sans prétention mais avec un sens aigu de l'autodérision.
L'artiste a présenté ses œuvres (www.julienberthier.org), ses recherches et l'esprit général qui préside à sa création. C’est l’expérience d'une pratique artistique contemporaine qui est en jeu dans ce partenariat. S'il est vrai que le projet a pour centre le travail de Julien Berthier ce dernier fait graviter autour de sa pratique de nombreuses autres œuvres. En présentant les créations d'artistes contemporains il offre une culture nouvelle aux élèves et surtout leur propose des champs de réflexion et d'action différents. La réflexion a été menée en plusieurs temps. Les élèves ont été accueillis au Plateau à deux reprises (préciser les expositions) où ils ont été en contact directe avec des œuvres d'art contemporaines. Puis le travail s'est poursuivi à l'Internat d'Excellence où Marie Baloup et Julien Berthier leur ont montré de nombreux documents sur des productions artistiques touchant à la thématique de l'espace public et de ses usages. Forts de ses nouvelles références artistiques, les élèves ont pu commencer à élaborer une réflexion plus solide sur la question de l'espace public.
La thématique choisie par les élèves et Julien Berthier est « Monument pour un non-lieu, monument pour les non-êtres ». Derrière ce titre se cache une belle réflexion que les élèves ont menés sur leur environnement. Tout d'abord c'est le lieu qui a été choisi : les abords de la gare de Bagneux, gare RER par laquelle tous les élèves et personnels de l'internat passent quasi quotidien-nement. Une forme de non-lieu, ou de lieu aux contours et fonctions difficilement définissables. Il s'agit d'un espace public partagé entre de multiples formes de circulations. C'est un espace où l'on ne s'arrête pas. Tout y est mouvement ou indicateur de celui-ci : boîte aux lettres, cabine télépho-nique, plan de métro, parking à vélos, station de bus, RER, route nationale etc. En ce sens les élèves ont développé une analyse fine concernant l’espace public et l’urbanisme que le programme de 3ème demandent de développer : « Savoir regarder la ville, l’édifice, le "construit", en comprendre les enjeux, en mesurer l’intérêt […]. Les objectifs sont, à travers la pratique, de faire observer et de faire acquérir les moyens de comprendre l’environnement architectural ».
Ainsi l’intervention dans la classe de Julien Berthier a permis d’articuler plusieurs aspects des enjeux du programme d’arts plastiques de 3ème : l’aspect architectural, la relation du corps à l’œuvre, la maîtrise de gestes et savoirs faire, la capacité à élaborer un projet structuré et à le soutenir au moyen d’une argumentation précise.
Mais l’autre aspect important de la réflexion des élèves est axé sur ce que nous nommons ici les « non-êtres ». Les élèves ont été frappés par la présence des personnes sans domicile fixe qui se trouvaient devant la gare. Ils ont été émus par ces sdf seuls êtres en arrêt dans ce lieu de transit.
La thématique du programme d’arts plastiques de 3ème est « le corps à l’œuvre » « implication du corps de l’auteur dans l’oeuvre en cours d’élaboration (grands formats, postures, gestes, occupation de l’espace) » . Aussi le travail décliné par la suite s’est orienté sur la relation du corps à l’espace Le corps de l’auteur mais aussi le corps représenté : corps entre stagnation et mouvement, corps présenté, corps suggéré mais surtout assujetti à une réalité sociale et politique. En effet qu’en est-il aussi de ces corps d’hommes et de femmes sans visibilité au regard de la société ? Alors, émus par la réalité de ces êtres, les élèves ont proposé des projets artistiques comme des hommages pour rendre visible à leur façon ces hommes et ces femmes. Loin de l’exercice d’application, c’est bien dans une réflexion personnelle encadrée, structurée et accompagnée par Julien Berthier et moi-même que les élèves ont pu découvrir la richesse d’une réflexion que permet l’élaboration d’une pratique artistique.
Après être allés observer le lieu – la gare de Bagneux – les élèves ont réalisé un projet écrit de leurs intentions. Ce projet s’accompagnait de dessins afin de les conduire à mettre en forme leurs pensées et leurs intuitions. Il est demandé aux élèves de 3ème de « reconnaître et de savoir utiliser des opérations :- en dessin : schématiser, esquisser, réaliser un croquis, rendre compte du volume en modulant le trait et les valeurs ». C’est à partir de ce travail sur projet personnel encadré que les productions ont commencé à prendre forme. Car, en effet, il s’agit bien aussi de mettre en forme des intuitions, des perceptions et de trouver la ou les possibilités inhérentes à chaque proposition. Procédant ainsi, les différents groupes d’élèves ont fait émerger des propositions extrêmement variées. Le B.O. précise entre autres aspects du programme d’arts plastiques de 3ème que « l’important est que cet ensemble favorise l’initiative de l’élève et la dynamique de ses projets. Il sait choisir des matériaux, des instruments, des moyens pour mettre en oeuvre et produire plastiquement. Il sait affirmer son expression personnelle, ses capacités d’invention, son point de vue, avoir recours à des références et les utiliser ».
De la sculpture (Mohamed, Cédric, Medhi, Alexandre et Benjamin) à l’intervention in-situ (Iona, Clémance, Lana), passant par la citation du tableau d’autel (Marion, Ines, Eloïse), ou encore un pénétrable (Jordan, Kévin, Ilyass) ou une simili plaque de commémoration, chacun de 7 projets élaborés par les groupes d’élèves interroge la « présence matérielle de l’oeuvre dans l’espace et l’investissement du lieu de présentation » mais aussi la « relations spatiales entre l’oeuvre et le spectateur (“être devant”, “tourner autour”, “pénétrer l’oeuvre”, etc) ». Présentés durant quelques heures sur le lieu, c'est-à-dire, devant la gare de Bagneux, les élèves ont vu leur travail vivre de façon autonome, prendre une autre ampleur grâce à la confrontation avec un public. Ils ont tout d’abord cherché à placer dans l’espace leurs productions de façon pertinente, puis ont accompagné les spectateurs de cette intervention in-situ afin d’expliquer leur différents projets.
Ce projet fort a été l’occasion d’une profonde réflexion humaniste où les productions, au croisement du politique et du social, ne perdent en aucun cas leur de leur force plastique et artis-tique. Chaque projet d’élève a été ciselé et pensé avec une telle finesse que nous-même, ensei-gnants, artiste avons été extrêmement émus et fiers de l’immense maturité et variété de pensée qui s’est développée sous nos yeux. Point d’aboutissement d’une année scolaire où des pédagogies différenciées se sont développées, ce dispositif a participé pleinement au développement d’une pratique d’enseignement fondée sur et à partir de l’art qui est devenue tout au long de cette année 2010-11 un des trois piliers de l’Internat d’Excellence de Cachan.
Laurence Gossart, professeur d’arts plastiques de l’Internat d’Excellence de Cachan
Depuis le mois de février les élèves de 3ème accueillent dans leur classe l'artiste plasticien Julien Berthier. En résidence à l'internat jusqu'à la fin de l'année scolaire 2011, Julien Berthier intervient auprès des élèves en les guidant dans le champ de l'art contemporain. Ensemble ils ont choisi une thématique de travail en lien avec les préoccupations artistiques de Julien Berthier: « Espace public et Monument ».
L'espace public est un des terrains de prédilection de Julien Berthier. Il en observe les usages, fonctionnements et dysfonctionnements. Au regard de la richesse potentielle des différents lieux qu'il arpente, il multiplie les propositions artistiques. Les œuvres de Julien Berthier semblent stigmatiser l'absurdité, la complexité mais aussi la beauté des espaces publics que nous fréquentons, en d'autres termes, dont nous avons l'usage. Ainsi ce sont nos propres dysfonctionnements qui transparaissent dans les œuvres : sans jugement, sans prétention mais avec un sens aigu de l'autodérision.
L'artiste a présenté ses œuvres (www.julienberthier.org), ses recherches et l'esprit général qui préside à sa création. C’est l’expérience d'une pratique artistique contemporaine qui est en jeu dans ce partenariat. S'il est vrai que le projet a pour centre le travail de Julien Berthier ce dernier fait graviter autour de sa pratique de nombreuses autres œuvres. En présentant les créations d'artistes contemporains il offre une culture nouvelle aux élèves et surtout leur propose des champs de réflexion et d'action différents. La réflexion a été menée en plusieurs temps. Les élèves ont été accueillis au Plateau à deux reprises (préciser les expositions) où ils ont été en contact directe avec des œuvres d'art contemporaines. Puis le travail s'est poursuivi à l'Internat d'Excellence où Marie Baloup et Julien Berthier leur ont montré de nombreux documents sur des productions artistiques touchant à la thématique de l'espace public et de ses usages. Forts de ses nouvelles références artistiques, les élèves ont pu commencer à élaborer une réflexion plus solide sur la question de l'espace public.
La thématique choisie par les élèves et Julien Berthier est « Monument pour un non-lieu, monument pour les non-êtres ». Derrière ce titre se cache une belle réflexion que les élèves ont menés sur leur environnement. Tout d'abord c'est le lieu qui a été choisi : les abords de la gare de Bagneux, gare RER par laquelle tous les élèves et personnels de l'internat passent quasi quotidien-nement. Une forme de non-lieu, ou de lieu aux contours et fonctions difficilement définissables. Il s'agit d'un espace public partagé entre de multiples formes de circulations. C'est un espace où l'on ne s'arrête pas. Tout y est mouvement ou indicateur de celui-ci : boîte aux lettres, cabine télépho-nique, plan de métro, parking à vélos, station de bus, RER, route nationale etc. En ce sens les élèves ont développé une analyse fine concernant l’espace public et l’urbanisme que le programme de 3ème demandent de développer : « Savoir regarder la ville, l’édifice, le "construit", en comprendre les enjeux, en mesurer l’intérêt […]. Les objectifs sont, à travers la pratique, de faire observer et de faire acquérir les moyens de comprendre l’environnement architectural ».
Ainsi l’intervention dans la classe de Julien Berthier a permis d’articuler plusieurs aspects des enjeux du programme d’arts plastiques de 3ème : l’aspect architectural, la relation du corps à l’œuvre, la maîtrise de gestes et savoirs faire, la capacité à élaborer un projet structuré et à le soutenir au moyen d’une argumentation précise.
Mais l’autre aspect important de la réflexion des élèves est axé sur ce que nous nommons ici les « non-êtres ». Les élèves ont été frappés par la présence des personnes sans domicile fixe qui se trouvaient devant la gare. Ils ont été émus par ces sdf seuls êtres en arrêt dans ce lieu de transit.
La thématique du programme d’arts plastiques de 3ème est « le corps à l’œuvre » « implication du corps de l’auteur dans l’oeuvre en cours d’élaboration (grands formats, postures, gestes, occupation de l’espace) » . Aussi le travail décliné par la suite s’est orienté sur la relation du corps à l’espace Le corps de l’auteur mais aussi le corps représenté : corps entre stagnation et mouvement, corps présenté, corps suggéré mais surtout assujetti à une réalité sociale et politique. En effet qu’en est-il aussi de ces corps d’hommes et de femmes sans visibilité au regard de la société ? Alors, émus par la réalité de ces êtres, les élèves ont proposé des projets artistiques comme des hommages pour rendre visible à leur façon ces hommes et ces femmes. Loin de l’exercice d’application, c’est bien dans une réflexion personnelle encadrée, structurée et accompagnée par Julien Berthier et moi-même que les élèves ont pu découvrir la richesse d’une réflexion que permet l’élaboration d’une pratique artistique.
Après être allés observer le lieu – la gare de Bagneux – les élèves ont réalisé un projet écrit de leurs intentions. Ce projet s’accompagnait de dessins afin de les conduire à mettre en forme leurs pensées et leurs intuitions. Il est demandé aux élèves de 3ème de « reconnaître et de savoir utiliser des opérations :- en dessin : schématiser, esquisser, réaliser un croquis, rendre compte du volume en modulant le trait et les valeurs ». C’est à partir de ce travail sur projet personnel encadré que les productions ont commencé à prendre forme. Car, en effet, il s’agit bien aussi de mettre en forme des intuitions, des perceptions et de trouver la ou les possibilités inhérentes à chaque proposition. Procédant ainsi, les différents groupes d’élèves ont fait émerger des propositions extrêmement variées. Le B.O. précise entre autres aspects du programme d’arts plastiques de 3ème que « l’important est que cet ensemble favorise l’initiative de l’élève et la dynamique de ses projets. Il sait choisir des matériaux, des instruments, des moyens pour mettre en oeuvre et produire plastiquement. Il sait affirmer son expression personnelle, ses capacités d’invention, son point de vue, avoir recours à des références et les utiliser ».
De la sculpture (Mohamed, Cédric, Medhi, Alexandre et Benjamin) à l’intervention in-situ (Iona, Clémance, Lana), passant par la citation du tableau d’autel (Marion, Ines, Eloïse), ou encore un pénétrable (Jordan, Kévin, Ilyass) ou une simili plaque de commémoration, chacun de 7 projets élaborés par les groupes d’élèves interroge la « présence matérielle de l’oeuvre dans l’espace et l’investissement du lieu de présentation » mais aussi la « relations spatiales entre l’oeuvre et le spectateur (“être devant”, “tourner autour”, “pénétrer l’oeuvre”, etc) ». Présentés durant quelques heures sur le lieu, c'est-à-dire, devant la gare de Bagneux, les élèves ont vu leur travail vivre de façon autonome, prendre une autre ampleur grâce à la confrontation avec un public. Ils ont tout d’abord cherché à placer dans l’espace leurs productions de façon pertinente, puis ont accompagné les spectateurs de cette intervention in-situ afin d’expliquer leur différents projets.
Ce projet fort a été l’occasion d’une profonde réflexion humaniste où les productions, au croisement du politique et du social, ne perdent en aucun cas leur de leur force plastique et artis-tique. Chaque projet d’élève a été ciselé et pensé avec une telle finesse que nous-même, ensei-gnants, artiste avons été extrêmement émus et fiers de l’immense maturité et variété de pensée qui s’est développée sous nos yeux. Point d’aboutissement d’une année scolaire où des pédagogies différenciées se sont développées, ce dispositif a participé pleinement au développement d’une pratique d’enseignement fondée sur et à partir de l’art qui est devenue tout au long de cette année 2010-11 un des trois piliers de l’Internat d’Excellence de Cachan.
Laurence Gossart, professeur d’arts plastiques de l’Internat d’Excellence de Cachan
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