Ange
Leccia, Je t’aime, jour et nuit
Galerie
Jousse Entreprise, 6 rue Saint Claude, Paris, jusqu’au 23 juillet 2016
L’ondine, l’image et
l’amant, un triangle amoureux névrotique
Passés les filtres bleus des vitres de
la galerie et l’on pénètre dans une forme de pénombre…comme dans un état de
rêverie, l’atmosphère bleuâtre de la pièce pose d’emblée le propos : dans
un entre-deux, entre le jour et la nuit, entre l’image et le réel, entre l’amour
et l’obsession. L’ambiance crépusculaire du lieu est accrue par le bleu de
l’image et la lumière diffuse que la vidéo projette au mur. L’installation
vidéo manifeste un espace mental, un état de l’imaginaire d’Ange Leccia. Au
dispositif imageant mis en œuvre dans une atmosphère à l’apparence ténue et délicate,
s’oppose l’ambiance sonore, comme une forme de contrepoint, La bande-son est constituée de deux parties.
D’abord un extrait de la chanson de Procol Harum, A Whiter shade of Pale. Ce morceau mythique, qui évoque une
histoire d’amour impossible, fut reprise par de nombreux cinéastes tels Lars
von Trier, Martin Scorsese ou encore Oliver Stone. Il est en effet question
d’une présence féminine spectrale dont la pâleur du visage semblerait évoquer
une sirène. Puis la musique disparaît pour laisser la place à un grésillement, un
larsen. Des bruits, que l’on pourrait assimiler à des acouphènes stridents, envahissent
l’espace de la galerie et rendent l’ambiance sonore inconfortable, voire
insupportable. L’atmosphère sensuelle que l’on perçoit dans un premier temps,
finit par devenir dérangeante. Se révèle petit à petit ce que recèle finalement
ce titre « Je t’aime, jour et nuit » : aimer de façon
compulsive, aimer d’un amour obsessionnel, aimer de façon névrotique, aimer une
image, aimer cette surface écran. Une femme prise dans son sommeil, évoluant
dans ce liquide, dans cet élément, l’eau, la femme, la nymphe, l’Ondine aux
longs cheveux. Le rêve, le fantasme, le désir…qui tourne au délire.
Sur l’écran qui fait face à l’entrée de
la galerie s’offre en grand format le visage de Marissa. Marissa c’est tout autant le titre de l’œuvre que le
prénom de la jeune parisienne hype
qui est ici filmée. Tout en lenteur, elle évolue sous l’eau. Le visage et la
naissance du buste nu, elle semble éprouver du plaisir, sentiment accrus par les
ralentissements de l’image. Est-ce une femme prise dans cet instant de « petite
mort » ou une Ondine évoluant dans son élément, l’eau, et dont le visage
danse avec les flots de la chevelure ? Une toute jeune femme prise dans
son intimité sensuelle, presque érotique, dont l’interprétation des attitudes
et expressions laisse peu de place à la suggestion. Marissa évolue lentement, les paupières se ferment, les yeux
clignent délicatement. Est-ce une femme ou un fantasme ? Une image
flottante, une forme d’image du monde flottant, impalpable, insaisissable,
presque animale aux poses langoureuses. Une lenteur suave, hypnotique, émane
des mouvements légers de son corps nu. Comme saisie dans son sommeil, une femme
caressée, sensuelle…mais une image. Un rêve ? Oui, peut-être, car Marissa,
aussi mannequin, incarne un fantasme, une image, un idéal, quelque chose
d’insaisissable. Une forme de mirage. L’écran de télévision posé au sol montre
Ange Leccia se filmant, très agité. Il parle, il semble se parler à voix haute.
Ou bien est-ce sa pensée que l’on entend ? Quelque chose qui tourne en
boucle, qui fait boucle. Des phrases prononcées sur la création, sur un ton de
voix névrotique et agité. Cet écran cathodique au sol fait face à la projection
de Marissa. Ou plutôt il est en
diagonale. Un étrange rapport se noue entre les deux vidéos. Tout d’abord un
rapport de temporalité, puisque les deux vidéos ont 20 ans d’écart, mais aussi
un rapport d’échelle. Et dans ces rapports se nouent des tensions dans
lesquelles semblent se révéler des relations – ou non-relations- entre l’homme
et la femme.
L’autre évocation du féminin est le
diptyque Médicis où l’on voit les
statues, pétrifiées dont les regards ne sont jamais croisés. Un féminin
pétrifié, soumis aux affres du regard masculin et dont les formes se dissolvent
sous l’action de ce dernier. La stridence des images est presque insupportable.
Dans leur mutisme obligé, les yeux levés vers le ciel, les statues semblent
implorer que cela cesse. Par le principe même du refilmage de la vidéo
initialement réalisée, la matière filmique est déformée à l’excès dans toutes
les inversions et distorsions possibles. Le son même, si strident, est en fait
le son amplifié et déformé de la projection vidéo de format DV des années 90. La
disparition des formes et la dissolution des lumières transforment la
perception de ce lieu, Médicis, l’anime loin du cheminement enchanteur qu’il
incarne.
Si
le corps de l’homme semble à chaque fois objet de tensions, d’obsessions, il
est néanmoins un corps réel, sensible et éprouvé, tandis que celui de la femme (ou
de la figure féminine) n’apparait que comme icône, image sublimée du féminin,
objet sexuel, objet du désir masculin d’Ange Leccia. Il y a quelque chose de
l’ordre de l’obsession, de la névrose dans cette relation féminin / masculin. A
l’agitation névrotique de l’autoportrait répond le calme souverain de Marissa.
Au corps nu frotté de poussière répondent les Vénus de marbre. La variété des
traitements de texture des images évoque une forme de dissolution des perceptions :
distorsion de l’image et du son, distorsion et déformation des couleurs et des
formes, oscillations parasites, dissolution, détonation, latence…en somme une
forme de folie qui s’inscrit dans ces pulsions scopiques obsessionnelles.
Laurence
Gossart
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