vendredi 28 octobre 2011

Xavier Veilhan, Les Correspondances d'Orchestra



Xavier Veilhan, « Orchestra », Galerie Perrotin – jusqu’au 12
novembre 2011

Par Laurence Gossart

Il ne reste que quelques jours encore pour déguster « Orchestra » de Xavier Veilhan à la galerie Perrotin. Déguster, apprécier, s’imprégner mais surtout s’immerger dans l’œuvre. Il est de ses pratiques contemporaines qui nous happent par leur intelligence et leur beauté. Nous entrons dans l’univers créé par Veilhan comme dans une forêt aux essences multiples où les éléments se juxtaposent naturellement, entretiennent des dialoguent plastiques et symboliques qui induisent de la signifiance. Cette forêt qui n’est pas sans évoquer – à nos yeux - celle des Correspondances de Baudelaire « La Nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de confuses paroles ;/ L’homme y passe à travers des forêts de symboles /Qui l’observent avec des regards familiers. »

On se promène dans cette installation qui va chercher tout autant dans les racines de l’œuvre de Veilhan que dans ses toutes dernières recherches. On éprouve une sensation d’enracinement mais d’ascension aussi au travers du mouvement spiralé récurrent. Les univers, si différents soient-ils d’une pièce à l’autre, crééent une unité mise en œuvre par ce mouvement dynamique (ou par la dynamique du mouvement). Entre pause méditative et énergie cinétique, les deux premières pièces – Le Monument et les Rayons – donnent le ton de cette exposition.

Le Monument, immense socle commun aux trois figures et multiples matériaux - le tout monochrome -, est un espace qui nous invite à nous mêler et nous inclure dans la perspective de ce rouge intense. Des places sont réservées à l’assise comme des bancs publics mais l’on peut aussi circuler et, pour ainsi dire, bavarder avec les nymphes et éphèbe de ce drôle de jardin. Tourner autour, pénétrer les œuvres, c’est cette dynamique qui est en marche dès les premières pièces. Nous traversons une forêt de Stabiles qui s’érigent autour de nous mais autour desquels nous circulons. Il y a bien un jeu entre les objets et le spectateur, un tête-à- tête les yeux dans les yeux parfois comme avec Gorilla, Gorilla, Gorilla. Mais ici c’est frontalement, face-à-face que le dialogues’instaure, une force animale imposante, une force naturelle, primale.

L’installation monte en puissance symbolique en même temps que nous gravissons les marches de la galerie afin d’accéder à l’étage. Ici sphère, hélice, ellipse donnent au visiteur qui arpente les salles différentes potentialités dynamiques. Les sens sont à l’épreuve. La Turbine oppressante qui nous accueille et nous surplombe est comme la grosse caisse de cet « orchestre » : elle donne le ton tout en s’offrant comme un axe à partir duquel les ponctuations et harmonies plus légères se déclinent. Répétition du motif de la spirale - motif symbolique fort-, harmonie méditative et délicate au centre de laquelle la sculpture Alice en bronze peint de jaune s’impose comme une diva silencieuse qui nous fait partager la plénitudede sa beauté. Le Mobile quant à lui fait basculer et se mouvoir avec une force quasi magique le poids de nos perceptions. Poids suggéré ou réel, nié ou affirmé, Xavier Veilhan s’amuse avec le centre de gravité. Comme un clin d’œil à la toute première pièce de cette exposition, Les Rayons, Marine aux rayons rayonne de ce jaune de lumière et vient ponctuer avec légèreté l’ensemble de cette composition.

Et il y a les Arbres, petites peintures aux nuances de vert multiples et aux essences variées dans lesquels ont perçoit le plaisir que l’artiste à encore de peindre. Les Arbres sont-ils des traits d’union ? des pauses ? des respirations ? Le fait est qu’ils s’imposent et jalonnent l’exposition de façon récurrente créant ainsi des percées dans les murs mais enracinant aussi l’exposition dans la pratique de Xavier Veilhan.

L’artiste joue de l’ellipse, forme géométrique et littéraire à la fois, qui permet à chacun de se poser sur l’une des palles de l’hélice Veilhan afin de créer son parcours à son rythme, dans ses propres temps et mouvements. Une belle méditation sur une humanité aux multiples aspects…coordonnés.

dimanche 28 août 2011

Anne Durez, Année Lumière...

Par Laurence Gossart

Anne Durez Année Lumière

LIENART éditions, Montreuil-sous-Bois, 2011. 96 p., ill. coul., 22x22 cm, 25 euros.

Anne Durez, Année Lumière : un livre d’une touchante et troublante beauté. D’abord par sa prise en main. Un objet doux, bleu, carré sur la couverture duquel se dessine dans une palette de gris bleutés un horizon. C’est une image extraite de sa vidéo Année Lumière qui donne son titre au livre. Et l’on ouvre ce livre sur des pages soyeuses, translucides - presque un papier bible –qui incitent à la délicatesse. Le lecteur perçoit d’emblée la dimension méditative de ce qui va lui être donné à pénétrer. De page en page le travail d’Anne Durez se donne à voir. Le livre est fait en deux parties, la première qui présente le film Année Lumière de 2007- partie introduite par un remarquable texte de Gilles A. Tiberghien - réalisé dans le cadre d’une résidence Villa Médicis Hors-les-murs. Hors les murs certes, surtout hors limites. Ou presque.
Anne Durez part trois mois aux confins de l’Europe : « De février à mai 2005, j'ai vécu cette période que l'on appelle l'hiver éclairé, en fin de nuit polaire et jusqu'au jour continu, sur l'Archipel du Svalbard (Spitzberg), la terre habitée la plus proche du Pôle Nord. » Cette fine lumière bleue qui jalonne tout le livre met aussi en lumière la porosité des relations que Anne Durez tisse entre le corps et le paysage. Le paysage apparait ici comme un autoportrait. Le paysage façonne la femme qu’elle est, il s’inscrit en elle, en modèle les formes, lui impose les limites toujours repoussées de son corps.
La seconde partie du livre, préfacée par Jean-Marc Huitorel, se nomme « Un silence à faire crier les pierres ». Comme une autre voie - ou bien devrions-nous écrire « voix »- de métamorphoses pour cette femme endormie en chien-de-fusil. L’image de la belle endormie- le long d’un rivage métaphorique ou réel (Donnant 1, S’ils se taisent) – est chaque fois contextualisée dans des situations qui violent les limites de sa corporéité. Un corps que la vie met en éveil et au cœur duquel retentit un nouveau timbre de voix.
Le livre s’offre comme une méditation sur la métamorphose, les états de ruptures et de continuité, les états d’éveil et de renaissance. Dans ces différents temps du livre, Anne Durez témoigne des liens ténus entre l’imaginaire et la réalité où les superpositions de perceptions ouvrent les voies de cheminements possibles. Si ce livre rassemble- telle une monographie- les œuvres d’Anne Durez, il fait surtout lui-même œuvre.

samedi 27 août 2011

Incorporer l'image...

Brancusi, Film, Photographie – Images sans fin
29 juin – 12 septembre 2011

Par Laurence Gossart

Le projet de cette exposition est de montrer un pan particulier de la collection Brancusi du Centre Georges Pompidou. Et c’est une belle réussite. Cette exposition est un petit bijou. On y découvre l’importance de la photographie et du cinéma pour l’artiste et sa façon de s’en emparer. Si l’image comme médium et support de création artistique est majoritairement présente dans cette exposition, il y a aussi une belle place faite aux aspects plus documentaires. On peut voir sur certaines bandes l’artiste dans l’atelier. Brancusi, en filmant ces moments où il est au travail, nous permet de mesurer l’ampleur de la tâche qu’il accomplit, la force déployée, le rapport physique avec la matière qu’il ordonne. La masse à la main, cognant sur un bloc, on éprouve des dizaines d’années après le corps à corps qui se joue entre l’artiste et son œuvre en cours. Il est toujours troublant de constater l’écart entre la brutalité des gestes d’un sculpteur lorsqu’il dégage les formes et la finesse des œuvres qui en résultent.
Le corps dans l’œuvre de Brancusi est l’un des piliers forts. Ainsi, tout un pan de l’exposition est consacré à de superbes images de ses modèles féminins. Une en particulier, Florence Meyer, qui danse, vit, sourit sous l’œil appareillé de Brancusi. Ces images font œuvres. Brancusi ne s’y trompe pas, il observe avec finesse la somptueuse beauté et la grâce des mouvements de cette jeune femme. Elle évolue sur un socle de marbre, sculpture vivante, au milieu des autres sculptures de l’artiste. Brancusi possédait un exemplaire de L’Evolution créatrice de Henri Bergson sur lequel – nous précise-t-on sur l’un des cartels de l’exposition – il avait souligné une phrase qui apparait comme une clé : « […] en réalité le corps change de forme à tout instant. Ou plutôt il n’y a pas de forme car la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. Ce qui est réel est le changement continuel de forme : la forme n’est qu’un instantané pris sur une transition. »
Ces rapports entre corps/ image et forme/mouvement animent le parcours de l’exposition d’un bout à l’autre. Brancusi se donne à voir au travail, il montre ses modèles et repères, ou encore photographie et filme ses sculptures. Ce troisième aspect de son expérience du film et de la photographie déplace la notion figée qui voudrait que la sculpture soit immobile. Ici on le voit expérimenter un nouveau matériau. Pour ainsi dire, il incorpore l’image dans ses œuvres. Mouvements, jeux d’ombres et de lumières créés une vie autre à Léda par exemple. Les images offrent une mise en perspective de l’œuvre ou encore un « commentaire » de l’artiste sur ses sculptures.
L’exposition est accompagnée d’un très beau catalogue qui permet vraiment de poursuivre l’expérience au-delà du musée. Il serait dommage de la louper.

vendredi 22 juillet 2011

Un artiste invité à l'internat d'excellence: Julien Berthier

Par Laurence Gossart

Depuis le mois de février les élèves de 3ème accueillent dans leur classe l'artiste plasticien Julien Berthier. En résidence à l'internat jusqu'à la fin de l'année scolaire 2011, Julien Berthier intervient auprès des élèves en les guidant dans le champ de l'art contemporain. Ensemble ils ont choisi une thématique de travail en lien avec les préoccupations artistiques de Julien Berthier: « Espace public et Monument ».
L'espace public est un des terrains de prédilection de Julien Berthier. Il en observe les usages, fonctionnements et dysfonctionnements. Au regard de la richesse potentielle des différents lieux qu'il arpente, il multiplie les propositions artistiques. Les œuvres de Julien Berthier semblent stigmatiser l'absurdité, la complexité mais aussi la beauté des espaces publics que nous fréquentons, en d'autres termes, dont nous avons l'usage. Ainsi ce sont nos propres dysfonctionnements qui transparaissent dans les œuvres : sans jugement, sans prétention mais avec un sens aigu de l'autodérision.
L'artiste a présenté ses œuvres (www.julienberthier.org), ses recherches et l'esprit général qui préside à sa création. C’est l’expérience d'une pratique artistique contemporaine qui est en jeu dans ce partenariat. S'il est vrai que le projet a pour centre le travail de Julien Berthier ce dernier fait graviter autour de sa pratique de nombreuses autres œuvres. En présentant les créations d'artistes contemporains il offre une culture nouvelle aux élèves et surtout leur propose des champs de réflexion et d'action différents. La réflexion a été menée en plusieurs temps. Les élèves ont été accueillis au Plateau à deux reprises (préciser les expositions) où ils ont été en contact directe avec des œuvres d'art contemporaines. Puis le travail s'est poursuivi à l'Internat d'Excellence où Marie Baloup et Julien Berthier leur ont montré de nombreux documents sur des productions artistiques touchant à la thématique de l'espace public et de ses usages. Forts de ses nouvelles références artistiques, les élèves ont pu commencer à élaborer une réflexion plus solide sur la question de l'espace public.
La thématique choisie par les élèves et Julien Berthier est « Monument pour un non-lieu, monument pour les non-êtres ». Derrière ce titre se cache une belle réflexion que les élèves ont menés sur leur environnement. Tout d'abord c'est le lieu qui a été choisi : les abords de la gare de Bagneux, gare RER par laquelle tous les élèves et personnels de l'internat passent quasi quotidien-nement. Une forme de non-lieu, ou de lieu aux contours et fonctions difficilement définissables. Il s'agit d'un espace public partagé entre de multiples formes de circulations. C'est un espace où l'on ne s'arrête pas. Tout y est mouvement ou indicateur de celui-ci : boîte aux lettres, cabine télépho-nique, plan de métro, parking à vélos, station de bus, RER, route nationale etc. En ce sens les élèves ont développé une analyse fine concernant l’espace public et l’urbanisme que le programme de 3ème demandent de développer : « Savoir regarder la ville, l’édifice, le "construit", en comprendre les enjeux, en mesurer l’intérêt […]. Les objectifs sont, à travers la pratique, de faire observer et de faire acquérir les moyens de comprendre l’environnement architectural ».
Ainsi l’intervention dans la classe de Julien Berthier a permis d’articuler plusieurs aspects des enjeux du programme d’arts plastiques de 3ème : l’aspect architectural, la relation du corps à l’œuvre, la maîtrise de gestes et savoirs faire, la capacité à élaborer un projet structuré et à le soutenir au moyen d’une argumentation précise.
Mais l’autre aspect important de la réflexion des élèves est axé sur ce que nous nommons ici les « non-êtres ». Les élèves ont été frappés par la présence des personnes sans domicile fixe qui se trouvaient devant la gare. Ils ont été émus par ces sdf seuls êtres en arrêt dans ce lieu de transit.
La thématique du programme d’arts plastiques de 3ème est « le corps à l’œuvre » « implication du corps de l’auteur dans l’oeuvre en cours d’élaboration (grands formats, postures, gestes, occupation de l’espace) » . Aussi le travail décliné par la suite s’est orienté sur la relation du corps à l’espace Le corps de l’auteur mais aussi le corps représenté : corps entre stagnation et mouvement, corps présenté, corps suggéré mais surtout assujetti à une réalité sociale et politique. En effet qu’en est-il aussi de ces corps d’hommes et de femmes sans visibilité au regard de la société ? Alors, émus par la réalité de ces êtres, les élèves ont proposé des projets artistiques comme des hommages pour rendre visible à leur façon ces hommes et ces femmes. Loin de l’exercice d’application, c’est bien dans une réflexion personnelle encadrée, structurée et accompagnée par Julien Berthier et moi-même que les élèves ont pu découvrir la richesse d’une réflexion que permet l’élaboration d’une pratique artistique.
Après être allés observer le lieu – la gare de Bagneux – les élèves ont réalisé un projet écrit de leurs intentions. Ce projet s’accompagnait de dessins afin de les conduire à mettre en forme leurs pensées et leurs intuitions. Il est demandé aux élèves de 3ème de « reconnaître et de savoir utiliser des opérations :- en dessin : schématiser, esquisser, réaliser un croquis, rendre compte du volume en modulant le trait et les valeurs ». C’est à partir de ce travail sur projet personnel encadré que les productions ont commencé à prendre forme. Car, en effet, il s’agit bien aussi de mettre en forme des intuitions, des perceptions et de trouver la ou les possibilités inhérentes à chaque proposition. Procédant ainsi, les différents groupes d’élèves ont fait émerger des propositions extrêmement variées. Le B.O. précise entre autres aspects du programme d’arts plastiques de 3ème que « l’important est que cet ensemble favorise l’initiative de l’élève et la dynamique de ses projets. Il sait choisir des matériaux, des instruments, des moyens pour mettre en oeuvre et produire plastiquement. Il sait affirmer son expression personnelle, ses capacités d’invention, son point de vue, avoir recours à des références et les utiliser ».
De la sculpture (Mohamed, Cédric, Medhi, Alexandre et Benjamin) à l’intervention in-situ (Iona, Clémance, Lana), passant par la citation du tableau d’autel (Marion, Ines, Eloïse), ou encore un pénétrable (Jordan, Kévin, Ilyass) ou une simili plaque de commémoration, chacun de 7 projets élaborés par les groupes d’élèves interroge la « présence matérielle de l’oeuvre dans l’espace et l’investissement du lieu de présentation » mais aussi la « relations spatiales entre l’oeuvre et le spectateur (“être devant”, “tourner autour”, “pénétrer l’oeuvre”, etc) ». Présentés durant quelques heures sur le lieu, c'est-à-dire, devant la gare de Bagneux, les élèves ont vu leur travail vivre de façon autonome, prendre une autre ampleur grâce à la confrontation avec un public. Ils ont tout d’abord cherché à placer dans l’espace leurs productions de façon pertinente, puis ont accompagné les spectateurs de cette intervention in-situ afin d’expliquer leur différents projets.
Ce projet fort a été l’occasion d’une profonde réflexion humaniste où les productions, au croisement du politique et du social, ne perdent en aucun cas leur de leur force plastique et artis-tique. Chaque projet d’élève a été ciselé et pensé avec une telle finesse que nous-même, ensei-gnants, artiste avons été extrêmement émus et fiers de l’immense maturité et variété de pensée qui s’est développée sous nos yeux. Point d’aboutissement d’une année scolaire où des pédagogies différenciées se sont développées, ce dispositif a participé pleinement au développement d’une pratique d’enseignement fondée sur et à partir de l’art qui est devenue tout au long de cette année 2010-11 un des trois piliers de l’Internat d’Excellence de Cachan.



Laurence Gossart, professeur d’arts plastiques de l’Internat d’Excellence de Cachan