Pâle lueur colorée dans ce noir et blanc grisé de l'hiver New-yorkais. Une image presque opaque percée par un oeil vert. Pourquoi le choix du signal vert ? Saul Leiter aurait pu choisir le rouge ? Rouge des baraques de cireurs, rouge des parapluies, rouges des voitures de Harlem, rouge des feux. Bien d'autres rouges encore dans les photographies de ce peintre. Mais là, non, un vert tendre et pâle, un vert d'eau ou d'amande subtil, très délicat. Il est comme le calice d'une fleur annonciatrice du Printemps, une forme de Perce-Neige. Le voyant d'un feu de circulation qui dessine presque un oeil, l'iris et la pupille. Un oeil qui autorise le passage, la circulation des véhicules. Une ellipse, une éclipse, un éclat de fraîcheur dans cette atmosphère lourde d'une neige qui recouvre tout.
Saul Leiter érige ce feu clignotant comme s'il s'agissait d'un être. Il traverse l'image de toute sa hauteur. Il la dépasse même puisque le cadrage tronque les extrémités. Fêlures fragiles de cet objet qui devient presque un être humain sous le regard du photographe, allure gracile de cet objet qui prend corps. Une forme de Cyclope contemporain que la modernité a vidé de sa chair, mais à qui il reste le regard foudroyant de clarté.
Dans le demi-jour, la verticalité de l'objet s'affirme. De cette ambiguïté toute anthropomorphique, l'humanité surgit dans les clignotements de ce mobilier urbain. Et cela lui confère beauté et majesté. Par son cadrage, Saul Leiter isole le feu de circulation. Il le place de telle façon qu'il devient le sujet. Il est extrait de son statut fonctionnel et acquiert une consistance existentielle.
Une citation de Jean Genet extraite de L’Atelier d’Alberto Giacometti nous revient ici en mémoire : « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. […] L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine.»
Nous y reconnaissons peut-être une solitude tout autant éclairée qu'éclairante. Une solitude mise en lumière et érigée en totem, le temps d'une photographie. Une solitude de l'objet qui nous renvoie à notre isolement d'homme esseulé, à nos propres blessures secrètes, à nos temps d'hiver.
L.G.
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